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Qalqilya, juillet 2006.
A peine arrivée en territoires
palestiniens, dans le but d’animer des ateliers
artistiques pour des enfants, les premiers bombardements
ont lieu dans le sud Liban, dans le nord Israël.
La télévision est allumée 24h
sur 24h : explosions, corps déchiquetés,
immeubles fracassés ici et là. Ces
« images sonores » agressives accompagnent
tel un bruit de fond celui des pétards. J’ai
cru d’abord que les pétards, symbole
de réussite de la fin des études secondaires
pour les étudiants palestiniens, se feraient
entendre une nuit, peut-être deux. Ils ont
finalement scandés toutes mes nuits. Ils
se joignent aux lamentations des femmes palestiniennes
attendant le retour de leurs maris, fils, frères
emprisonnés pour des raisons évidentes
ou arbitraires, depuis plus ou moins longtemps.
La musique se mêle aux bruits des plus quotidiens
au plus inhabituels : le muezzin, qui, du haut de
son minaret, appelle à la prière cinq
fois par jour, les cris des enfants qui, chaque
matin, sous l’exhortation des voix portées
par les mégaphones, dans la cour de l’école,
hurlent, plus que chantent, les « mélodies
» patriotiques, le rappel à l’ordre
du soldat israélien en haut de son mirador
- « tu vois, celui qui surveille le mur qui
encercle la ville depuis 2003 » -, les coups
de feu, ceux du conflit, ceux des mariages que l’on
célèbre - on les distingue très
clairement à force -. Les incursions israéliennes
dans la ville et les kidnappings nocturnes sont
plutôt silencieux, par contre.
La vigilance aux bruits, surtout ceux qu’on
ne peut reconnaître, anticiper, transporte
chacun dans une sphère où l’intégrité
de sa bulle est menacée à tout moment.
Gaza, juillet 2006.
Un ami me raconte : « sous
l’effet de l’explosion, la porte en
tôle de la petite maison familiale vole en
éclats. Les fractions métalliques
heurtent les enfants jouant au sol, percutent le
visage de leur mère préparant le repas.
Presque défigurée, couverte de sang,
elle est amenée à l’hôpital,
laissant les enfants livrés à eux-mêmes.
Les cris déchirent l’espace de la maison
: un F16 israélien vient de tirer sur une
camionnette conduite par des hommes armés
qui passait devant le foyer ». Plus loin,
quelques heures plus tard, un scénario à
peu près identique se produit, la nuit suivante,
le lendemain aussi. Ces intrusions sonores font
partie du quotidien de la guerre. Il continue :
« avant même d’entrer dans Gaza,
tu entends le souffle de la guerre. Avant même
de franchir le passage d’Eretz, tu pressens
les tremblements du conflit » : le ronronnement,
semblable à celui d’une énorme
tondeuse à gazon, des drones, avions sans
pilote, survolant la bande de terre - ils surveillent
et tirent aussi parfois -, les avions de chasse
qui, en dépassant le mur du son, créent
les « sonic bomb » - une onde dont l’intensité
pourrait provoquer la surdité, la paralysie,
comme du sang coagulé sous l’effet
de la frayeur -, le cliquetis métallique
des chenilles des chars et le bruit de l’asphalte
qui craque sous leur poids, et bien sûr, les
tirs, les bombardements et le fracas des explosions
consécutives. Après, ce sont les sirènes
des ambulances qui emmènent les blessés
ou les cadavres. A l’hôpital, les médecins
travaillent entourés des familles, des enfants,
oui beaucoup d’enfants, qui guettent le fil
de la vie. Les portes se referment, un liquide rouge
s’écoule du dessous de la porte: le
sang des cadavres que l’on lave. Là,
c’est le bruit des pas qui, naturellement,
reculent par terreur, par respect aussi. S’ensuit
la sortie du corps. Tout s’intensifie encore.
Il est conduit à la maison familiale ou directement
à la mosquée. Ce sont alors les baffles
placés sur le toit des camionnettes bondées
qui traversent la ville, hurlant le nom du martyre.
Elles sont escortées par la foule et les
tirs de Kalachnikovs. En réponse au silence
de la mort, ces clameurs de masse forment un ultime
écho désespéré : la
seule révolte possible pour résister
aux remous mortels d’un bain sonore devenu
bain de sang.
Texte :
Alexia Jacques
Psychologue clinicienne - Assistante à l’U.L.B.
Faculté des Sciences Psychologiques et de
l’Education.
Service de psychologie clinique et différentielle.
Carte blanche, LE SOIR, Mercredi 25 octobre 2006
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