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La
lumière est idéale en cette fin de
journée d’été, cette
lumière toujours chaude mais enfin douce,
celle qui attire les photographes et séduit
les peintres. Nous traversons un bout de campagne
de Cisjordanie, à pied à travers les
oliviers, guidés par nos partenaires palestiniens
du Forum culturel de Qalqilya. Soudain, devant nous,
se dresse une double clôture de barbelés,
bordée d’une route militaire.
Nous, ce sont 17 membres de l’association
Artistes contre le Mur, 14 Belges et 3 Français,
âgés de 19 à 72 ans, issus des
milieux artistique, culturel, enseignant, médical
et psychologique.
Pendant 10 jours, nous animons des ateliers pour
les enfants de Qalqilya, une ville de 40 mille habitants
située en bordure de la Cisjordanie et à
une trentaine de km de Tel Aviv, une ville emprisonnée
soit par un mur de 8 mètres de haut, soit
par des clôtures successives.
S’échapper vers la
liberté
Le thème
choisi pour ce camp d’été 2008
est le cerf-volant. Il va se révéler
au travers de la dizaine d’ateliers organisés
pour 200 enfants, âgés de 8 à
15 ans. Le choix des ateliers est tributaire des
propositions de notre association, en fonction de
la compétence des bénévoles
: Photo, vidéo, musique et fabrication de
cerfs-volants pour les garçons. Théâtre
d’ombre, expression verbale, dessin, création
de livres, journalisme pour les filles.
Les enfants n’ont
plus accès à la bibliothèque
municipale depuis sa destruction partielle au printemps
dernier. L’armée israélienne
a débarqué une nuit, mis le feu aux
livres et emporté les ordinateurs. Les soldats
de l’Etat hébreu ont ensuite soudé
la porte d’entrée, placé un
gros cadenas sur la grille et décrété
la fermeture de la bibliothèque pour 2 ans.
Ce lieu culturel était financé et
contrôlé par le département
du Val de Marne. Artistes contre le Mur avait apporté
de Belgique et offert plusieurs livres.
S’envoler
vers la liberté, passer le mur et les barbelés,
et enfin se sentir en sécurité : ce
rêve des enfants palestiniens s’exprime
dans toutes leurs créations artistiques.
Les garçons de l’atelier vidéo
se sont mis en scène dans un dessin animé.
Ils s’envolent vers la Belgique grâce
aux cerfs-volants, emportant avec eux ce message,
répété inlassablement : «
nous ne sommes pas des terroristes ». Ils
survolent Jérusalem, ville sainte mais interdite,
où ils évitent les tirs israéliens,
et puis mettent le cap sur la Méditerranée
et ses plages, si proches à seulement 12km,
mais inaccessibles pour cause de mur, de checks
points et de « sécurité »,
leitmotiv des autorités israéliennes.
L’hypocrisie sécuritaire…
Pendant 10 jours,
nous partageons le quotidien de nos stagiaires et
de nos partenaires palestiniens dans la région
de Qalqilya. Sur une route de campagne déjà
étranglée de part et d’autre
par des clôtures, au-delà du village
de Habla, au milieu de nulle part, un trio de soldats
israéliens bloque les voitures palestiniennes.
Les conducteurs doivent attendre en moyenne 2 heures,
sous un soleil vertical, le signe d’un gamin
en treillis qui n’a pas plus de 22 ans. Ces
soldats semblent s’ennuyer profondément,
mais ils doivent appliquer des ordres. « Que
faites-vous ici, dans les territoires palestiniens
?» nous demande un soldat. « Et vous
? ». Regard fuyant, moment de gêne,
pas de réponse. Au barrage d’Azzoun
Atma, un village au sud de Qalqilya, le soldat qui
interroge est hargneux. Ici, l’armée
de l’Etat hébreu ne laisse passer que
les habitants domiciliés officiellement.
Personne d’extérieur au village, ni
les médecins, ni les enseignants, ni les
fonctionnaires de l’Autorité palestinienne
n’ont le droit d’entrer dans le village.
Mais à l’autre bout de la localité,
la clôture dite de sécurité
a été découpée. L’ouverture
débouche sur une route express israélienne
qui mène en 10 minutes à Tel Aviv.
Des milliers de Palestiniens s’y engouffrent
chaque jour, au vu et su des soldats de Tsahal,
pour chercher du travail côté israélien.
Nous constatons à plusieurs reprises, en
plusieurs endroits, et contrairement à ce
qu’affirme le gouvernement israélien,
que le mur ne protège pas des attentats.
Ce mur est franchissable, et les autorités
israéliennes le savent. Si les attentats
sont devenus rarissimes, c’est avant tout
le résultat du choix de la grande majorité
des Palestiniens.
L’étranglement inéluctable…
Sur le terrain,
l’objectif politique israélien nous
apparaît évident, éclatant,
inexorable. Le mur et ses clôtures corollaires
n’ont qu’un seul but : s’approprier
un maximum de terres palestiniennes et garder un
minimum de Palestiniens. Nous l’avons vu :
tous les moyens sont utilisés, y compris
le déversement systématique des égouts
provenant des colonies sur les villes et villages
palestiniens. La région de Qalqilya est riche
en eau mais les stations de pompage sont contrôlées
par Israël, y compris celles qui subsistent
à l’intérieur du mur. L’Etat
hébreu limite la consommation d’eau
et facture celle-ci à l’Autorité
palestinienne. Il fait payer aux Palestiniens ce
qui leur appartient.
Un fermier raconte,
résigné : « Il y a quelques
mois, l’armée est arrivée avec
un bulldozer. Les soldats ont détruit ma
bergerie. Ils ont placé des barbelés
et pendant une semaine, ont interdit l’accès
à une partie de mes champs. L’année
prochaine, il vous sera probablement impossible
de venir ici». Et de fait, les membres d’Artistes
contre le mur qui viennent depuis 4 ans prennent
la mesure des terres arrachées chaque année
en deçà du mur, toujours plus à
l’intérieur vers la ville. Nous assistons
à l’interminable étranglement
de toute une société.
Témoignez pour nous !
Pendant 10 jours,
nous avons apporté un peu d’évasion
à quelque 200 garçons et filles, des
enfants dont l’avenir se réduit aujourd’hui
à un mur et des barbelés. Demain,
ils n’auront le choix qu’entre l’exil
volontaire ou l’expulsion. S’il vous
plaît, témoignez de ce que vous voyez
ici, témoignez pour nous !, ont-ils supplié
lors de notre départ.
Texte :
Françoise Berlaimont
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